Gestalt : Ajustement créateur

 

 

Je vois, de plus en plus souvent, arriver en consultation des hommes et des femmes ne sachant être avec leur émotionnel. Certains semblent même avoir « oublié » cette donnée biologique de notre condition humaine, pour d’autres elle peut prendre toute la place. En effet, nous sommes dans une société de plus en plus normée où rien de doit « déborder », une société quasi aseptisée, c’est en tout les cas ce qui est véhiculé par les médias généraux. Sous ce regard sociétal, l’éprouvé semble être peu signifiant.

 

Ce qui reste en nous

Nous nous construisons de nos expériences vécues. Elles sont assimilées en nous, ne sont plus des expériences mais font parties de nous-mêmes. Une transformation a eu lieu.

Dans la relation, au fil des évènements, au contact de l'autre dans la situation, nos réactions homéostatiques créent des réponses à ce contact, soit nous y sommes sensibles, soit nous y sommes sourds. Dans tous les cas si la situation reste souffrante, cette souffrance, liée à la douleur ressentie reste non transformée, non assimilée  en nous, une empreinte. Ces diverses empreintes sont des « repères » intériorisés. Et non consciemment  dès qu’une situation va nous sembler analogue, de par son atmosphère, nos réponses intériorisées vont venir « colorer » notre manière d’être au monde.

Au contact de cet autre, dans une situation différente si le climat nous semble « identique » nous allons aller au contact muni de l’empreinte non digérée de notre situation souffrante antérieure.

 

Où ces évènements se passent-ils ?

Ces phénomènes se vivent à la « frontière-contact », un concept gestaltiste. Concept qui change la perception de l’être au monde de mes clients. La frontière-contact est un espace non visible où l’expérience demeure. Un auteur contemporain en fait la définition suivante «la frontière-contact où se situe l’expérience ne sépare pas l’organisme de son environnement ; au contraire, elle limite l’organisme, le contient et en même temps touche l’environnement.»[1] Elle est donc contenante, structurante, permet de sortir de l’indifférencié et d’être en contact. . J’utilise souvent comme métaphore la peau. On ne peut pas toucher l'autre sans être touché et vice versa. Et mes clients m’en parlent de la peau ! « Je suis à fleur de peau » « Je l’ai dans la peau » « J’ai la peau dure »...  

 

J’ai constaté deux axes majeurs, soit la frontière-contact est trop « poreuse », soit elle est trop « rigide ». Soit mes patients sont « sans peau », ont des difficultés à contenir leurs sensations, à se différencier, soit ils sont « insensibilisés » et ne semblent pas touchés par ce qu’ils viennent de vivre, pourtant ils m’en parlent et ne comprennent pas soit leurs manières d’agir soit la manière d’agir des autres. Quoi qu’il en soit ils expriment la souffrance de ne pas être dans un contact juste pour eux. Ces expériences restent comme une empreinte interne qui petit à petit devient la réponse aux situations similaires et colore leur manière d’être au monde.

 

Je cite Fritz Perls, neuropsychiatre et psychanalyste allemand co-fondateur de la Gestalt-thérapie «la psychologie consiste à observer ce qui se passe à la frontière-contact entre l’individu et l’environnement : c’est là, à la limite entre les deux, que les événements psychologiques ont lieu. Nos pensées, nos actions, nos comportements, nos émotions sont différentes manières de vivre ces événements qui se passent en lisière, au point de contact. » [2] La frontière-contact est un espace « entre », un entre-deux.

 

Oui et alors ?

L’impact émotionnel, l'ambiance, l'éprouvé, tout ce vécu durant la situation, s’il n’est pas fluide, assimilé, prend de la place, peut étouffer, créer de l’agitation, anesthésier, figer… nous empêcher d’être libre. Libre de qui nous sommes, juste à cet instant présent avec ce qui se présente à nous, libre de créer, de faire nos choix, de prendre nos responsabilités, de laisser faire la nouveauté.

 

En faire quelque chose avec l’autre est déjà de la nouveauté, ensemble, dans le mouvement et dans l’ouverture de conscience. Expérimenter du nouveau vient apporter un autre possible, une manière d’être non connue, une nouvelle empreinte, une nouvelle atmosphère.

 

Francis Bacon disait de Picasso « c’était surtout la capacité qu’il avait de toujours faire quelque chose de nouveau qui était extraordinaire… »

 

Faire du nouveau ou laisser faire le nouveau ? Pour transformer la situation figée, notre créativité est sollicitée, notre capacité à laisser faire le nouveau, à mettre du mouvement. La créativité est l’adaptation immédiate à la situation, notre ajustement créateur dit-on en Gestalt.

 

Sommes-nous artistes de notre vie ? Nous permettons-nous de nous laisser impacter par l’autre, par sa singularité, celle de la situation ? Décidons-nous d’avoir de la légèreté, du plaisir, dans notre manière d’être au monde, de la fluidité, du mouvement ?

 

Acceptons-nous de nous laisser porter par ce qui est ? Et d’œuvrer pour ce qui va advenir ?



[1] FRANCESETTI Gianni – Attaques de panique et postmodernité 

[2] PERLS Fritz – Manuel de Gestalt thérapie

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